La consommation du vin change, encore et toujours…

Du vin “aliment” au vin “plaisir”, de l'ordinaire quotidien au cru convivial, du “gros rouge” au produit inscrit au patrimoine culturel immatériel de l'humanité, le vin et sa consommation ont connu d'importantes évolutions.

Il est loin le temps où le vin, en France, était considéré comme “la plus saine, la plus hygiénique des boissons” (Pasteur, 1866), alors que l'adduction d'eau potable à domicile était encore loin d'être généralisée. Produit et bu en grande quantité, le vin faisait partie de l'alimentation quotidienne de la population : il était réputé donner force et santé aux travailleurs – et même aux écoliers, auxquels on servait jusqu'en 1956 du vin rouge à la cantine… – et il fut appelé au soutien du moral des Poilus de la Première Guerre mondiale.

La réorganisation du vignoble français consécutive aux ravages du phylloxera à la fin du XIXe siècle et la surproduction qui s'en est suivie avec la multiplication des “gros rouges” médiocres, voire frauduleux, ont provoqué la création du concept d'Appellation d'Origine Contrôlée régie par des règles strictes de production (1935) : désormais, la différence est actée entre le vin ordinaire de consommation courante et le vin de qualité issu d'un terroir reconnu.

Ainsi s'affirme, sur fond de lutte de plus en plus forte et répressive contre l'alcoolisme, une opposition qui se veut irréductible entre boire beaucoup et boire bon. Les vins grossiers sont éliminés par la science œnologique naissante, la consommation des vins ordinaires diminue, tandis qu'augmente celle des vins fins – et plus coûteux –, au profil de plus en plus “standardisé” (uniformisation de l'encépagement à partir des principaux cépages dominants, multiplication des traitements chimiques et des intrants œnologiques). La superficie du vignoble français se restreint, loin des quelque 2 millions d'ha d'avant le phylloxera, passant de 1,4 millions d'ha dans les années 60 à 800 000 ha aujourd'hui, mais le productivisme ambiant maintient un haut niveau de production en France (autour d'une moyenne de 45 millions d'hl) et en Europe, tandis que la mondialisation se traduit par l'explosion de la production des vins du Nouveau Monde. Et la consommation évolue irrémédiablement à la baisse (- 70%), de 127 litres par an par personne en 1960 à 40 litres en 2022 : on évalue aujourd'hui les consommateurs réguliers à 11% de la population. Le vin “aliment” a quasiment disparu et la sociologie des consommateurs a changé, c'est désormais l'ère du vin “plaisir” inscrit dans une approche gastronomique et culturelle : un symbole civilisationnel, qui s'honore en 2010 de la promotion par l'UNESCO du “repas gastronomique français” comme patrimoine culturel immatériel de l'humanité.

À travers cette considérable évolution du vignoble et de la consommation de ses produits, le vin a lui-même changé, un changement accentué aujourd'hui par les nécessités du combat pour l'environnement (contre les produits chimiques), par les contraintes du changement climatique (problèmes de richesse alcoolique), et par les adaptations qu'implique la surproduction (arrachage de vignes, distillation de surplus de vins). Dans ce contexte, les paradigmes de la production de vin évoluent : les exigences d'une culture de la vigne et d'une vinification plus saines ont conduit à l'essor de la viticulture biologique (dès les années 60) puis du vin biologique (défini en 2012 par la législation européenne), avec une volonté affirmée de (re)donner du sens à l'activité agricole/viticole (essor de la biodynamie), et à la quête de vins les plus naturels possible, ces vins “nature” dont le succès grandit auprès des “buveurs" d'aujourd'hui : des vins qui respectent la vie du sol, la vie de la plante… et la vie du consommateur !