Le vin, quantité ou qualité ?

En matière de vin, comme en beaucoup d'autres domaines, quantité et qualité sont souvent antinomiques. Plus que jamais, dans un contexte général où l'offre de vin dépasse largement la demande, le choix est impératif et implique l'ensemble du processus de culture de la vigne, de vinification et de commercialisation.
 

Pays producteur historique de vin et vignoble phare de la “vieille Europe” viticole, toujours situé au gré des millésimes dans le trio de tête, avec l'Italie et l'Espagne, des leaders de la production mondiale, la France est au cœur des problèmes créés par la surproduction. Alors que la production mondiale au XXIe siècle tourne autour de 270 millions d'hl, la consommation varie entre 220 et 250 millions d'hl, un différentiel négatif en regard duquel on peut mettre le chiffre de la production française qui oscille entre 43 et 50 millions d'hl selon les années.
Le problème de la surproduction – et la crise qu'elle engendre aujourd'hui – conduit directement à la question du rapport au quantitatif en termes de production de raisin et de production de vin. L'essor du productivisme en agriculture et notamment en viticulture, initié dès les années 30 et finalisé avec les lois Pisani (1960-62), a été rendu possible par l'usage des engrais et des pesticides dans les nouvelles vignes issues des replantations post-phylloxera – ainsi poussées à donner des hauts rendements jamais vus jusqu'alors, et ce malgré une beaucoup plus faible densité de pieds/ha –, par la sélection de clones selon des critères productifs, et par la multiplication de machines de plus en plus grosses et performantes pour les traitements et les vendanges. Le succès de ces pratiques a conduit à ajouter en 1974 au rendement maximum autorisé dans le décret de chaque appellation un “plafond limite de classement” (PLC) qui permet à l'INAO d'augmenter de 10, 20 ou 30 % le rendement en fonction de la générosité du chaque année… C'est sur ce terreau productiviste que la culture bio est montée en puissance en proposant une alternative qualitative. En vinification, le productivisme a été favorisé par le développement de l'œnologie et des nombreux intrants et traitements qui rendent possibles des vins issus de raisins affaiblis par les hauts rendements et les produits chimiques, et permettent de maintenir voire d'améliorer la qualité du vin avec des artifices, notamment de transformer des vins “malades” en vins consommables. En réaction à la production exponentielle de vins de plus en plus standardisés, sans “défauts” mais sans réelle qualité, et en adoptant des règles limitant – plus ou moins sévèrement – l'usage des intrants et traitements œnologiques, les vins qui étaient simplement dits “issus de raisins en agriculture biologique” ont acquis au niveau européen (2012) le titre de “vins biologiques”. Sur cette base mais avec une exigence supérieure (suppression de la quasi totalité des intrants œnologiques) s'est développée avec un succès croissant la notion de vin “nature”…
Aux problèmes de la surproduction et de l'évolution baissière de la consommation de vin s'ajoutent les problèmes liés au changement climatique, qui multiplie les difficultés de culture, et à la recrudescence des maladies de la vigne, qui affectent à la fois la quantité et la qualité des raisins : souffrance de cépages mal adaptés aux nouveaux paramètres du climat, vendanges mutilées, difficultés de fermentation, autant de facteurs qui achèvent d'ôter toute légitimité à l'option quantitative et imposent définitivement a contrario la voie des exigences qualitatives. Des exigences qualitatives qui sont celles de domaines qui sortent de décennies de productivisme sans débouchés et celles d'une nouvelle génération de vignerons qui réinvestissent de nombreux terroirs – avec un vignoble à taille humaine, une philosophie “nature” et une commercialisation très ciblée – mais sont confrontés aux difficultés d'une situation générale qui se traduit par de vastes plans d'arrachage de vignes et des campagnes de distillation d'excédents. Plus que jamais, le choix juste – mais y a-t-il vraiment le choix ? – apparaît comme celui du respect de la nature en s'y adaptant plutôt qu'en la contrecarrant, en en récoltant des fruits de qualité plutôt qu'en la surexploitant.