Quand le Jura avait nom Henri Maire…
Le nom de l'imposante maison jurassienne Henri Maire et de son créateur revient sur le devant de la scène : avec le rachat de la société Henri Maire en 2015 par la famille Boisset – gros groupe bourguignon élargi à diverses régions de France et d'ailleurs –, l'occasion en est la “réinvention” et le retour en 2023 du fameux Vin Fou qui s'est rendu célèbre à travers tout l'hexagone à partir des années 50.
La création par Henri Maire, figure majeure d'Arbois, d'un vin mousseux au cachet jurassien plus que réellement jurassien (les approvisionnements de raisins sont loin d'être strictement locaux), et son succès porté par des méthodes de publicité et de vente quasi agressives et favorisé par diverses personnalités politiques d'origine franc-comtoise, s'impose dans la France des années d'après-guerre comme un concept marketing audacieux et pionnier. Mais cette innovation, qui relève certes plus du sens des affaires que de la recherche de qualité, doit être remise dans son contexte.
Fin XIXe siècle et première moitié du XXe siècle, le vignoble du Jura a été durement touché par les ravages du phylloxera puis par les deux guerres mondiales, gravement amoindri par la replantation de cépages grossiers ou hybrides destinés aux vins de consommation courante, desservi par sa situation géographique excentrée, et enfin désarmé face à la concurrence des vins du Midi : la polyculture et/ou l’élevage ont alors pris le dessus sur la viticulture, quand ce n’est pas l’exode rural qui a affaibli un peu plus encore un vignoble diminué. Malgré la création de coopératives (telle la Fruitière vinicole d'Arbois en 1906) et l'obtention de l'AOC Arbois en 1936, le vignoble jurassien a du mal à survivre. Une partie du salut va venir de quelques producteurs-négociants au nombre desquels le plus important et de loin le plus décisif, Henri Maire (1917-2003), qui constitue dès les années 40 un vaste domaine – bientôt riche de quelque 300 ha, principalement dans l'aire d'appellation Arbois – et une puissante entreprise. Achats de vignes vouées à la disparition, achats de vendange à des vignerons en difficulté et de vin aux coopératives qui manquent de débouchés, restaurations de parcelles et replantations en plants fins : en sauvant des vignes et en participant largement à la production de vins jurassiens, puis en faisant la promotion des appellations du Jura, Henri Maire a joué un rôle historique incontestable. L'invention du populaire Vin fou aura été un des instruments de sa démarche.
Plus contestables en revanche sont les pratiques de l'entreprise Henri Maire en matière de culture et de vinification, des méthodes “révolutionnaires” propres au productivisme ambiant… Avec des pratiques différentes, à partir des années 60, des domaines tels que Rolet, Tissot ou Aviet instillent une plus grande rigueur dans le vignoble du Jura. Et surtout, les années 80/90 voient s'affirmer les pionniers d'une exigence de vin naturel : Pierre Overnoy, Évelyne et Pascal Clairet (Domaine de la Tournelle), Stéphane Tissot (Domaine André et Mireille Tissot), Jean-François Ganevat, les domaines Labet, Pignier, La Renardière, La Pinte, Bornard, entre autres. Loin de la viticulture représentée par Henri Maire, les options bio et biodynamiques ont transformé le paysage viticole jurassien et son attractivité, et elles animent la génération apparue dans les années 2000 : Alice Bouvot (Domaine de l’Octavin), Fabrice Dodane (Domaine de Saint-Pierre), Étienne Thiébaud (Domaine des Cavarodes), Kenjiro Kagami (Domaine des Miroirs), Julien Mareschal (Domaine de La Borde), Valentin Morel (Domaine Les Pieds sur Terre) Jean-Baptiste Menigoz (Domaine Les Bottes Rouges), François Rousset-Martin…
Les temps ont changé, pour le meilleur !